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L'effroyable manuscrit.

 

La rédaction de documents scientifiques fait partie intégrante des filières techniques. Je vous propose ici un souvenir retrouvé récemment, mettant en scène un ami - disons Loïc pour conserver son anonymat - qui me racontait s'être surpris lui-même à la lecture de son propre brouillon, désespérément mauvais. Âmes sensibles, s'abstenir, j'espère que vous aurez le cœur bien accroché ! Cinq ans après, je me suis écœuré tout seul.

Et bonne lecture,

Pull

Mue par une force invisible, mais que Loïc pressentit maléfique, la main de ce dernier dirigea la flèche de sa souris sur le fichier au karma négatif. Ostensiblement neutre à cette chute assurée vers le chaos, Windows ouvrit avec un empressement non feint le Rapport_Provisoire.docx, d'un zèle dont on ne le voyait pas coutumier. Fébrile, la main de Loïc revint près du clavier et, telle une fée friponne parcourant les bois d'un trait, l'envie de changer de fenêtre au profit d'une quelconque chaine YouTube lui traversa l'esprit. Il se ravisa toutefois, s'inventant un courage derrière lequel se cacher pour venir à bout de cet amoncellement de mots et de chiffres aux allures de décharge publique, fichu brouillon de trente pages déjà. Cette image (la décharge) le fit sourire, mais fut vite remplacée par celle d'une formidable et fumeuse bouse luisante, véritable tour de contrôle d'un ballet aérien de mouches. Mettant à couvert son esprit derrière un paravent pudique, un demi-sommeil fixa ses racines dans la part consciente de Loïc. Petit à petit les mots du rapport se soumirent à la volonté de son "ça" et commença enfin l'Acte : Loïc écrivit.

 

Puis l'image (toujours la décharge) grandit et crût, et crût encore, ses aptitudes mentales regagnant peu à peu des dimensions réelles jusqu'à le rendre douloureusement conscient de la plus que piètre qualité des lignes s'enchaînant : il penserait a posteriori que cela fut soudain mais en réalité c'est bien sa lecture de cette véritable merde scientifique qui le plongea inexorablement dans un véritable bain d'excrément psychique ; c'est du moins l'impression que cela lui fit à la fin de la lecture du titre, déjà. Oubliant les supplications de son nez, de ses yeux et les perles de sueur qui s'engageaient de plus en plus vite sur son front - y créant de véritables traînées collantes qui lui rappelèrent le Vésuve lorsqu'un instant son regard croisa son reflet dans l'écran poussiéreux de l'ordinateur - pour finir dans son clavier, il puisa quelque part dans une fragrance de souvenir d'enfance pur, innocent et fleuri de promenade à la montagne accompagné du fidèle chien de ces voisins dont il n'avait jamais connu le nom, Pitou, la force de faire tourner la roulette pleine de crasse de sa souris, à la découverte des mots qu'un esprit sournois venait de lui faire enfanter. Continuant sa létale lecture, c'est lorsqu'il sentit que son esprit tentait de surmonter cette avalanche hypocrite d'informations que la redoutable sensation d'inconfort le saisit et que son estomac se noua en une contraction d'une rare violence.

 

Levé en quelques dixièmes de secondes, un moment le temps s'arrêta et il eut l'impression que la pièce se contractait autour de cet écran qui le lorgnait. Puis la quatrième dimension le rattrapa sans douceur et dans une douloureuse constriction, il se plia en deux et vomit partout, se tenant les tripes tant cet élancement était survenu de manière soudaine, à l'insipide lecture de ce rapport qui, par son niveau si médiocrement exécrable, arrivait à envahir l'air d'une puanteur fétide dont le seul égal était l'esprit nauséabond dans lequel il l'avait entraîné. Rendant les eaux, mais par le haut, écran, clavier, bureau, il tapissa tout son bureau d'une âcre déglutition. Dans un état second, il s'entrevit submerger son matériel de travail d'une visqueuse sécrétion ocre. Il constaterait plus tard, en tentant de les extraire des touches de son clavier à la pince à épiler, que des grumeaux jaunâtres suivraient de près cette sécrétion. Retournant sur YouTube, il se jura, honteux et confus, qu'on ne l'y prendrait plus.

© 2016 par PullDeRhovyl. Créé avec Wix.com

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