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Blog d'un allergosképsophobe*
* un mec qui ne supporte plus les gens allergiques à la pensée.
Pensées publiques par Pull de Rhovyl
Le syndrome de Titov*.
Le vaisseau tournoyait lentement sur lui-même, dérivant tranquillement dans le vide. Derrière lui se tenait FPS2732a, sphérique, incandescente et immense.
- Confirmation d'autodestruction ? répéta pour la troisième fois une voix désincarnée. Les yeux fermés, Jim Monroe était bien incapable de prendre une décision. Mais quelle autre alternative avait-il ? Quel gâchis, dans tous les cas.
- Annulation, dit Jim d'un ton las pour la troisième fois avant de se mordre les lèvres. Pour la troisième fois également.
- Annulation d'autodestruction confirmée, répondit placidement la voix de l'ordinateur de bord.
Un voyant rouge clignotait depuis plusieurs minutes déjà. Jim se tenait toujours sur le morpho-siège du compartiment intimiste dans lequel il se trouvait lorsque l'onde de choc de la novæ avait atteint l'Outsider 109. Plusieurs minutes auparavant, ce vaisseau d'exploration de grande série était arrivé sans encombre jusqu'à la zone prévue dans son plan de vol, située dans l'axe de révolution de l'étoile obèse. Les nombreux systèmes d'observation avaient alors été activés et le cerveau du vaisseau avait méticuleusement enregistré sous tous les spectres possibles et imaginables les fluctuations d'énergie, les vaguelettes de particules exotiques inhérentes à la mort de l'étoile.
Quel gâchis, se répéta Jim, la tête perdue dans ses mains, oubliant presque le voyant qui venait juste de s'éteindre - preuve que le cerveau de l'Outsider 109 devait avoir terminé les vérifications des systèmes de vol suite à la vague de particules gavés d'énergie qui avait heurté le vaisseau aux lignes effilées. Certes, en prenant un peu de recul, la mission avait été un véritable succès. Une preuve supplémentaire de l'aptitude indiscutable de United Enterprises à commanditer des missions spatiales à haute technicité, le tout sans assistance humaine - ou presque. Il fallait bien quelqu'un pour choisir les options proposées par le cerveau, à la fin.
Un beau gâchis, oui. Car les observations contenues dans les enregistrements de bord abreuveraient (auraient abreuvé ? se dit-il, tenté de redemander l'autodestruction) pendant plusieurs années les centres de recherche de United Enterprises, leader multi-planétaire en matière de production d'énergie stellaire. Les modèles physiques mis à jour grâce à ces données permettraient notamment d'augmenter l'efficacité des stations astrales mises en place depuis plus de deux siècles autour de nombreuses autres étoiles. Cette mission-ci consistait plus particulièrement à étudier la pertinence d'une production d'énergie à court terme mais à haute puissance au voisinage d'une novæ. Quel gâchis monumental. Vingt-deux ans, calcula-t-il mentalement. Vingt-deux ans avant la prochaine occurrence d'observation. Pas si long, après tout.
Jim Monroe connaissait pourtant les risques de la mission. Il avait été formé pendant de nombreuses années à la vie dans l'espace, à la solitude et aux conditions de vol. Il avait appris à maintenir les systèmes électroniques les yeux fermés, savait le moindre détail de leur programmation. Pendant le vol, il se voyait déjà sur les chaînes d'information de la i-zone, sortant du vaisseau argenté à son retour sur Terra II, les journalistes zoomant au maximum sur sa combinaison blanche portant le logo incontournable de United Enterprises et sur son sourire éclatant de play-boy. Un scénario rendu désormais impossible, et pour quoi ? Pour une seconde d’absence, pour une erreur futile mais fatale.
Comment cela avait-il été possible ? Rien ne laissait supposer que le vaisseau ait failli quelque part. C'eut été de la mauvaise foi. Mais, sur ordre de Jim et de cette mauvaise foi, le cerveau embarqué avait refait les vérifications : tous les dispositifs étaient opérationnels et n'avaient pas pu flancher. Le problème était irrémédiablement humain. Jim se remémora la scène séquence après séquence ; la vague de particules atteignant le vaisseau, les systèmes de régulation s'occupant de la surcharge d'énergie et de l'intégrité de la structure en polymétal. Il se revoyait s'écraser au plafond de l’étroit compartiment, emporté comme une feuille morte par l'onde de choc chargée de particules solaires qu'il n'avait pas vue venir.
- Ordinateur, active l'autodestruction, répéta Jim.
- Compte à rebours standard paramétré à trente secondes, dit calmement le cerveau. Confirmation d'autodestruction ?
Comment, comment, à la suite d'un minuscule petit prout, avait-il pu se chier dessus sans avoir emporté de combinaison de rechange ?
***
* Bon, il me fallait un titre accrocheur. Pour ne pas dire accrochieur. Ce syndrome n'existe forcément pas mais, puisque Guerman Stepanovitch Titov est un des premiers hommes à avoir effectué un vol orbital, on peut se demander dans quelle mesure il n'aurait pas fait, le premier, l'expérience ô combien transcendante du pétoulou-de-l'espace. L'histoire ne le dira jamais : c'est bien connu, les astronautes ne font pas cela.
** Pourtant, de nombreux articles scientifiques très sérieux attestent de l'augmentation de l'activité flatulative des astronautes. Voilà voilà.