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Blog d'un allergosképsophobe*
* un mec qui ne supporte plus les gens allergiques à la pensée.
Pensées publiques par Pull de Rhovyl
Un conte de pées
Le peuple Zimo était réuni sur la grande plage Gal'dwoa, à l'ombre du mont Toupak. Le sable fin de la grand'dune était depuis des temps immémoriaux le meilleur endroit où faire dormir un Idud, le côté moelleux ou l'humidité, allez savoir, et le bruit des vagues en était sans aucun doute la meilleure berceuse.
Chano avait deux paires de bras passées autour de sa fille Ensath, bientôt endormie. Pour l'heure, elle contemplait d'un regard d'enfant fatigué les constellations floues. De l'autre côté de Chano, encore deux de ses bras caressaient sans y penser la jambe de Belrihay, son conjoint de la saison, qui s'était affalé dans le sable, harassé par sa journée de pêche au large. Décidément pas un bon partenaire, celui-là. Sentant Ensath s'endormir, Chano se dégagea doucement, dépliant ses trois jambes délicatement.
Car ainsi étaient constitués les Iduds de la Terre de Miel : trois paires de bras, trois jambes, le tout disposé autour d'un tronc cylindrique portant, à son sommet, une tête triangulaire. Le lecteur pourra imaginer le nombre d'yeux situés sur sa tête. Effectivement c'est un multiple de trois.
Chano se dirigea vers une partie de la grand'dune plus haute, d'où le regard portait loin. C'était à une centaine de pas (ce qui, sachant que les Iduds comptent sur les six doigts de leurs six mains, représente pour un humain environ mille-trois-cents pas - les pas faisant la même longueur, eh oui). C'était là que le gros du village était rassemblé, à l'exception de quelques familles ou des individus qui n'étaient concubins que depuis peu.
Au centre d'un amoncellement de membres entrelacés et de légers ronflements se trouvait Hro-Hid, le chef de la tribu.
"Quelque chose ne va pas, Chano ?"
Elle sursauta. Elle n'avait pas vu arriver Culeh, chaman du village, ses trois yeux étant focalisés sur la tribu endormie.
"Tout va bien, petit frère. Un peu préoccupée par les vagues noires. Mais il suffit que je vienne ici et je suis rassurée, dit-elle sans quitter des yeux la masse impressionnante de Hro-Hid.
- Je te comprends. Je le fais aussi. De temps en temps. Heureusement qu'il est là, car je crains de ne jamais égaler grand-mère.
- Tu es trop exigeant envers toi-même."
Il faut dire que grand-mère Baraai était une véritable sorcière, une femme charismatique côtoyant les secrets du monde comme de vieux amis et disséminant dans son sillage la connaissance sur tous les Iduds. Elle avait tant fait pour les Zimo ! Mais le chaman Culeh était loin d'avoir ses capacités, ne serait-ce qu'en onguents ou en potions. C'était sans parler des sorts...
Ils regardèrent en silence le tas d'Iduds endormis. S'il était coutume de changer de partenaire après plusieurs Lashtga - équivalent d'une saison sur l'île Toupak - aucune n'avait voulu un autre que Hro-Hid, qui était grand, puissant et aimé de tous. Il était de cette trempe de guerrier qui n'aimait pas la violence, une montagne de muscles, de confiance et de sagesse. Tout le monde l'appréciait, sur l'île. Il avait succédé à Kahuddrag, qui lui-même avait succédé à Cueha, qui était l'élève de Baraai, fondatrice du peuple Zimo de la Terre de Miel.
Chano et Culeh frissonnèrent. Ils se rappelaient avec froideur de cet épisode de Lashtga dernier où, comme toujours, sans qu'on puisse le prévenir, une vague noire avait déferlé sur Gal'dwoa. Le niveau de l'eau était tant monté que bientôt, seul le mont Toupak sortait à peine de l'eau. La terreur laisse des traces, et Culeh avala sa salive. Heureusement que leur chef était présent ce jour-là. Il avait sauvé toute la tribu quand, de sa force colossale, il avait réussi à porter les trois-cent-cinquante individus de leur communauté tandis que l'eau montait toujours. Pendant deux jours durant, il avait soutenu ses Iduds à bouts de bras, conservant son équilibre au mépris des vagues et des débris flottant un peu partout sur une mer déchaînée, sous une pluie battante.
La tempête passée, une allégresse sans borne avait déferlé sur les villageois, qui avaient crié à tue-tête :
"Gloire à notre chef ! Loué des dieux soit le grand Zimo Hro-Hid !"
...et ouais.