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Débriefing.

- Reprenons depuis le début. Déclinez votre identité.

- Je m'appelle Else Weiler, je suis née le...

- NOUS SAVONS QUE C'EST FAUX ! rugit l'inspecteur.

- Svend, reprenez-vous mon vieux ! dit un autre type dans la pénombre derrière la lampe.

- Nous savons que c'est faux, reprit l'inspecteur plus calmement. Else Weiler, la vraie, EST MORTE DEPUIS DEUX ANS. Nous avons retrouvé son corps la semaine dernière...

- ...dans les installations de R.A.Project, termina l'autre type en balançant sur la table plusieurs photographies d'un corps putréfié. Nous savons que vous êtes l'agent C et R.A.Project est investi en ce moment même par plusieurs brigades d'intervention. Tout ce que vous pourrez dire sera retenu en votre faveur.

- Je... le quartier général ?! Vous avez...

- ...appréhendé tout le comité de direction ainsi qu'un certain Général Rupert, un beau salaud, vraisemblablement votre commanditaire, renchérit le dénommé Svend. Il a avalé une capsule de cyanure lorsque nous lui avons passé les menottes il y a trois heures. Oui, vraiment un beau salaud.

- Maintenant, vous êtes seule, dit l'autre type.

- Je ne... Rupert est mort ?! Mais...

- Vous êtes SEULE, répéta Svend. Il est dans votre intérêt de collaborer. Surtout au vu des dégâts considérables observés depuis ces deux derniers jours. Et au milieu desquels on vous a trouvée la bouche en cœur. Alors ne nous faites pas perdre notre temps.

- Rupert est mort et le Q.G...

Svend ouvrit la bouche pour beugler quelque chose mais un signe de l'autre l'arrêta dans son élan. Elle resta un moment silencieuse. Puis respira un grand coup et se redressa sur sa chaise, les menottes dans son dos accentuant sa posture droite.

- Je m'appelle Kristen Haug, je viens d'Edsbyn dans le Gävleborg, dit-elle. Depuis neuf mois, je suis recruteuse et agent de liaison pour R.A.Project.

- Comment avez-vous été intégrée à R.A.Project ? demanda Svend.

- Le Général Rupert, dit rapidement Kirsten. Il cherchait un profil bien particulier et c'est grâce à mon ancienne troupe de théâtre qu'il m'a repérée. C'était à la fin de l'année dernière pendant la représentation et...

- POURSUIVEZ, hurla Svend.

- Quand j'ai vu le salaire et ce que j'avais à faire, je n'ai pas pu dire non. C'était une proposition très intéressante et a priori pas trop immorale... c'est peut-être aussi le fait qu'elle ne soit pas tout à fait morale qui m'a convaincue. C'était mystérieux, ça m'a plu.

Svend respirait de plus en plus fort.

- En quoi consistait votre travail ? demanda l'autre type sans perdre un instant, toujours dans la pénombre.

- Au début, seulement de la prospection. J'avais un type de cible qu'il fallait isoler, approcher puis travailler. J'avais des outils pour évaluer la typologie de profil psychologique, des contraintes anatomiques et morphologiques à respecter. J'ai commencé par les cités étudiantes.

- Ça explique le profil des disparus, coupa l'autre type, qui en se tournant fit un signe de tête vers Svend.

Celui-ci se dirigea vers le miroir de la salle d'interrogatoire, y fit rapidement quelques signes destinés à quelqu'un vraisemblablement dissimulé de l'autre côté et sembla recevoir un message dans son oreillette en retour. Quelques instants plus tard, des bruits de pas résonnèrent dans le couloir. La porte s'ouvrit, Svend récupéra un dossier et grommela rapidement une esquisse de remerciement pour l'intervenant tandis que la porte se refermait. S'asseyant au bord de la table, il défit les élastiques du dossier et étala devant Kirsten une demi-douzaine de photographies en noir et blanc.

- Vous connaissez donc les individus sur ces photographies ? demanda-t-il d'un ton qui n'appelait pas de réponse.

- Oui. Ce sont les alphas désignés par Rupert.

- Poursuivez, dit l'autre type.

- Eh bien ! Il y a Fynn, c'était le premier, dit Kirsten en désignant une des photographies. Puis il y a eu Lars, Yan, Per, Erik, et le dernier c'est Jonas.

Le type derrière les lampes mit les photographies dans l'ordre.

- Quelle était la nature de vos relations avec ces... alphas ? demanda Svend.

- Je n'ai jamais approché Fynn, j'en suis toujours restée éloignée. Puis j'ai reçu des ordres pour être plus... proche d'eux. Ça a particulièrement été le cas avec Yan, Per et Erik. Après je n'y arrivais plus.

- Gardons une approche chronologique, si vous le voulez bien, dit l'autre type en contournant le bureau pendant que Svend tentait de garder son calme. Vous parliez des cités étudiantes, qu'y avez-vous fait ?

- Je me suis mêlée aux étudiants. Je me suis inscrite à des cours, en fait pratiquement tous ceux de l'université, et aussi des activités sportives et artistiques. J'y allais autant que possible pour essayer de croiser le maximum d'individus. Le Général me disait de prendre ça comme une chasse aux espions. C'était comme reprendre des études mais sans les partiels ! De vraies vacances, et vachement bien payées, en plus.

- NON MAIS VOUS... commença Svend.

- Comment procédiez-vous pour le profilage ? l'interrompit l'autre type, curieux.

- Oh, j'avais tout un tas de gadgets technologiques très sophistiqués avec moi. Je pouvais sélectionner les candidats selon les critères anatomiques et morphologiques qu'on m'avait fixés et une sorte de capteur m'indiquait si le profil psychologique correspondait.

- Vous voulez dire... non, vous n'allez pas me dire que vous aviez une psysonde dans votre sac ? continua l'autre.

- Oui, c'est ça, une psysonde ! Entre autres.

- Vous êtes bien certaine ? demanda l'autre type. Décrivez-moi l'engin, ce qu'il faisait.

- Heu, ça marchait comme un radar mais avec un phénomène quantique basé sur... en fait je ne sais pas trop, moi j'étais là pour le rôle, la présence, pas pour utiliser les instruments, dit Kirsten. Je n'ai jamais trop compris comment ça fonctionnait mais une chose est sûre, c'est que ça ne s'est pas trompé... manifestement...

- Répondez à la question, arrêta Svend sèchement.

- Oui, oui, c'était... eh bien ! comme une boite à chaussure environ, j'avais juste à l'apporter avec moi dans les cours. On m'a juste appris à la mettre en marche et à extraire les résultats sur l'interface tactile. La portée était assez faible, mais ça scannait beaucoup de gens.

Svend regarda l'autre type qui ouvrait des yeux ronds.

- Qu'y a-t-il, Alek ? dit-il.

- Il y a que nous touchons à quelque chose de plus gros que nous, Svend. Jusqu'à maintenant, les prototypes militaires de psysondes devaient être transportées par semi-remorque et alimentées par des générateurs de la même taille. Vous ne vous rendez pas compte de l'équipement que ces gars-là se sont procuré ou ont développé.

- Mmh... poursuivez, ordonna Svend en se retournant vers Kirsten. Vous vous êtes donc inscrite à tous les cours, vous avez évalué et psyscanné tout le monde. Et ensuite ?

- La mission disait que je devais faire un rapport régulier pour corréler les résultats de la psysonde avec mes observations. J'ai fait ça pendant un mois avant d'avoir un retour de R.A, enfin, un retour du Général.

- Rupert était la seule personne avec laquelle vous correspondiez ? demanda Svend.

- Oui. J'ai parlé à d'autres personnes parfois, mais pas échangé d'informations. Je ne connaissais le nom de personne. Et j'étais juste l'agent C.

- Comment faisiez-vous vos rapports ?

- Les premiers par téléphone. Je recevais un appel pendant la nuit. J'ai du voir le Général une ou deux fois dans un cinéma et dans un supermarché. Mais la plupart du temps, par téléphone.

- Et vous êtes-vous déjà rendue au quartier général ? tenta rapidement Alek.

- Je... oui, je m'y suis rendue pour recevoir de l'équipement. Trois fois, après l'explosion dans la rue. Ils ne pouvaient plus se permettre de placer leur matériel dans les planques habituelles.

- De quel autre équipement parlez-vous ? demanda Svend.

- Je devais récupérer du matériel médical et des capteurs.

- Éclairez-nous, mademoiselle Haug, dit Svend avec autorité, c'est dans votre intérêt. Comment avez-vous utilisé ce matériel ?

- Après le deuxième mois de profilage, j'ai reçu l'ordre d'installer les capteurs chez Fynn. Ça n'a pas été bien compliqué, il m'a suffit de m'introduire dans sa piaule pendant une fête et en fin de soirée j'ai installé le matériel un peu partout dans son appartement.

- C'est là que votre cas commence à s'aggraver, mademoiselle Haug. Et qu'avez-vous fait du matériel médical ?

- Une semaine ou deux après que les observations de Fynn aient commencé, j'ai reçu des instructions. Je devais faire une série d'injections à Fynn.

- Des injections ? Seulement des injections ? s'étonna Alek, visiblement curieux.

- Oui. Alors à la fin d'une soirée, Fynn était complètement saoul. Je l'ai ramené chez lui et j'ai suivi le protocole expliqué avec le matériel. C'était très élaboré, une douzaine de piqûres à faire, à quelques minutes d'intervalle.

- Et après ?

- Après ? dit Kirsten. Après, plus rien, j'avais rempli la mission et j'ai continué à scanner les étudiants. Dites, vous ne pourriez pas me détacher ?

- Et après ? répéta Svend. Répondez d'abord à ma question parce que vous m'énervez avec votre histoire.

- Eh bien ! Après, j'ai continué à scanner les étudiants jusqu'à ce que la machine indique qu'un profil particulier était sélectionné, que le Général me confirme qu'une opération était lancée sur ce profil et qu'on me fournisse le matériel, dit Kirsten très vite. Ça a été pareil à chaque fois.

- Vraiment ? dit Svend, suspicieux. Pour tous les autres ? Ne jouez pas avec nous, mademoiselle Haug.

- Non, pas vraiment pareil mais... elle s'interrompit. Lorsque Lars a été "marqué" par la psysonde, j'ai eu comme objectif de rester près de lui pour faire des injections plus espacées. Le protocole avait été modifié et je... il n'y avait qu'une seule solution pour pratiquer des injections à cette fréquence, c'était de vivre chez lui.

- Une vraie espionne comme avant, dit Alek d'un ton acide.

- Ta gueule, Alek, dit Svend. Et de même pour les autres, j'imagine ?

- Oui. J'avais une autre cible désignée et je devais pratiquer des injections très régulières tout en continuant ma prospection dans l'université. La seule solution était d'avoir une relation intime avec eux pour ne pas éveiller leurs soupçons.

- Parlez-nous de ces injections, mademoiselle Haug, dit Alek calmement. Quantité, fréquence, substance, effets. Que vouliez-vous leur faire ?

- Oh, moi, rien vous savez. Ma mission c'était juste de leur faire la série d'injections à leur insu. Après, ils étaient mignons alors pourquoi ne pas joindre l'utile à l'agréable ? Je n'ai compris ce en quoi consistaient les injections que lorsque j'étais avec Yan et Per. A cette époque-là, c'était il y a trois mois maintenant, Fynn a arrêté de faire des soirées. Je ne me suis pas posé de question. Et puis, si R.A. voulait des informations, il y avait toujours les caméras, micros et autres gadgets chez lui. Quant à Lars, il a subitement arrêté les cours et est retourné chez ses parents à Sarpsborg. Sur le coup, ça m'a inquiétée mais le Général m'a dit que R.A.Project testait un nouveau traitement contre des pathologies neurologiques et qu'il était vital qu'ils ne se doutent de rien, que leur famille était au courant. Donc j'ai continué ma mission. J'ai reçu le sérum pour Yan et comme indiqué par le protocole, je lui ai fait une injection pendant deux semaines à la même heure. Quelques jours après la dernière injection, les premières plaques d'écailles sont apparues mais je n'ai fait le rapprochement que lorsque ça a pris cette tournure si...bizarre.

- Vous n'avez pas répondu à la question, mademoiselle. Faites un effort ou je serai moins aimable, prévint Svend.

- La question... ah oui ! fit Kirsten. Quantité, fréquence. C'était au cas par cas. En général la même quantité totale de sérum car j'avais toujours le même paquet. Mais pour Fynn, au fond ça n'a été qu'une seule grosse injection en une seule soirée. Pour Lars, quatre soirées. Pour Yan, quinze. Pour les autres, encore davantage et c'est pour ça que ça devenait de plus en plus compliqué, vous comprenez ? Allez injecter quatre mois un écailleux qui pète les plombs, pauvre Jonas. Mais une chose est sûre, ce n'était pas toujours le même sérum. Les ampoules n'avaient pas la même couleur.

- Un écailleux ? dit Alek. Vous voulez nous faire croire que les jeunes gens portés disparus ne sont pas morts mais infectés par une substance expérimentale ?

- Vous ne comprenez pas, inspecteur, dit Kirsten.

Elle renversa la tête en arrière, soudain abattue de fatigue. Se tut pendant une longue minute. Et continua plus doucement :

- Et maintenant vous avez six dragons sur les bras complètement hors de contrôle. Et j'ai été assez bête pour croire qu'ils avaient une maladie neurologique...

- Minute, vous avez dit des dragons ? dit Svend. Ce seraient des dragons qui auraient causé tous les dégâts sur l'autoroute ? Le crash de l'hélicoptère de combat ? Les tanks éventrés comme un sac de patates ? Les explosions ? Laissez-moi rire ! Vous auriez pu trouver mieux, mademoiselle Haug, vous êtes foutue. Voulez-vous vraiment finir votre vie en prison, mademoiselle Haug ?

Kirsten se redressa.

- R.A.Project signifie Reptil Army. Je l'ai compris lorsque le Général Rupert a accepté de m'héberger au quartier général. Avant cela, je n'avais vu que des insignes sur du matériel et mon salaire.

- Je vous donne deux minutes pour vous arrêter de vous foutre de ma gueule, continua Svend.

- Croyez-moi, inspecteur Svend, dit Kirsten avec un rire crispé. Je n'ai pas pu observer la mutation chez Fynn ni Lars. Mais j'ai vu Yan pouvoir courir des heures à pleine vitesse sans manifester de signe de fatigue. Je l'ai vu sauter, nager, plus haut qu'un coureur olympique. Et c'était avant que ses ailes n’apparaissent.

- Vous allez avoir des ennuis, mademoiselle Haug, répondit Svend, menaçant. Je vous donne l'occasion de vous disculper d'une suspicion d'attentat à la bombe sur des installations gouvernementales et vous me sortez une histoire à dormir debout.

- Jusqu'à l'apparition des deux paires d'ailes en plus des membres conventionnels, la mutation n'était que physique, inspecteur. Je l'ai compris lorsque la psysonde s'est emballée un soir chez Erik. Ce n'est qu'une fois ce stade dépassé que la mutation devient plus profonde.

- Mais comment peut-elle être plus profonde, mademoiselle Haug ? tenta Alek d'un ton trop diplomatique pour être tout à fait honnête.

- Je... je l'ignore, dit Kirsten après un temps. Le fait est que sitôt les membres sortis, leur force, leur intelligence et leur résistance croissent de manière exponentielle. Et leurs organes changent. Pensiez-vous vraiment que l'armée avait fait feu en pleine ville lors de la première crise, inspecteur ?

- Eh bien ! commença Alek, nous avons des rapports très clairs indiquant que les traces de combustion observées correspondent à...

- Du feu, inspecteur Alek. Ils crachent du feu. Comment vouliez-vous qu'ils ne réduisent pas le quartier général en cendres ?

- Mais, commença Svend, le quartier général est un bunker impénétrable ! Et puis à part les centres de recherche, il n'y avait rien à y récupérer...

- Inspecteur, c'est pourtant facile, dit Kirsten avec un sourire. Après chaque mutation, j'ai changé d'identité. Ania Gottart, Lone Silberfuchs. Bente Katmington. Mais comment voulez-vous échappez à une escadrille de dragons en chaleur ?

Les enquêteurs restèrent muets une minute, laissant Kirsten se recroqueviller sur sa chaise. Une gardienne entra soudain dans la salle d'interrogatoire puis s'adressa aux deux hommes :

- J'ai ordre de conduire la jeune femme aux toilettes. C'est la pause, les gars, ordre du chief. Vous bilez pas, on est au douzième sous-sol.

Sous les protestations de Svend, elle remit Kirsten sur ses pieds et elles quittèrent la pièce. La gardienne la guida une ou deux minutes dans le dédale de couloirs du Central de Police. Après lui avoir ôté ses menottes, elle laissa Kirsten se débarbouiller quelques instants puis faire pipi. Restant devant la porte des toilettes, elle lui demanda :

- Là où votre histoire ne tient pas debout, mademoiselle, c'est que si c'est vous que cherchaient les dragons, pourquoi nous avoir permis de vous capturer ? Vous avez été trouvée au milieu du parking, seule.

- A y réfléchir, je pense qu'ils voulaient récupérer le sérum, tout simplement, dit Kirsten depuis derrière la porte. L'armée leur a juste fait perdre du temps en me mettant en danger, alors ils sont partis.

- Le sérum ? Mais ils ne pourront pas en approcher, nos hommes investissent le bâtiment d'une minute à l'autre ! s'étonna la gardienne.

- Vos hommes sont déjà morts, dit doucement Kirsten. Les dragons sont à l'épreuve du feu, des balles, sont insensibles aux acides et complètement amphibies. Leur endurance surpasse de loin celle d'un humain et ils volent. Vos hommes n'ont aucune chance.

- Mais pour quoi faire ?!

- Je n'en ai aucune idée, madame. J'ai fini.

Bruit de chasse d'eau.

- C'est pourtant évident, Kirsten, dit une voix grave et étrangement sonore, envoûtante, venant de nulle part.

La gardienne n'eut pas le temps de lever les yeux que le faux plafond s'effondra sur elle, l'assommant net. Kirsten hurla et se réfugia à nouveau dans les toilettes. Elle attendit que le silence se fasse, pendant une trentaine de secondes des débris tombèrent du plafond. Bientôt ne resta plus qu'un léger filet d'eau venant des robinets cassés. Elle ouvrit la porte.

- Il ne nous manque plus que des femelles et la planète sera à nous.

Kirsten sentit comme une piqûre. Un fluide s'écouler en elle. Avant de s'évanouir, elle eut juste le temps de voir devant elle un magnifique dragon bleu.

***

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