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Chroniques de dangereuses paires d'ailes

 

 

A mes copains,

Aux lézards, que je plains quelque part de n’être que de misérables modèles réduits

d’avortons sous-membrés de ces magnifiques créatures ailées

qui dans leur inexistence présentent néanmoins la plus grande classe de tous les êtres

et dont la magnificence ne cessera jamais de m'émerveiller

tandis que je contemple ces mignons petits reptiles grimpant sur les murs

et gobant avec bestialité, faim et vitesse de petits et frétillants insectes stupides.

Pull de Rhovyl

An 169 - Âge I.

 

Des dragons, nul ne sait grand-chose. Il est donc tout à fait logique que du premier dragon, nul ne sache rien : peut-être vint-il de la magie, peut-être n’en vint-il pas vraiment. D’ailleurs, en eût-il seulement un premier ? Seule certitude : les dragons figurent parmi les plus anciens habitants du monde et leur mémoire héréditaire remonte souvent jusqu’au premier âge de la terre, quand tout était encore vierge, inconnu et d’une certaine manière, sauvage. En ce temps, la magie était jeune et folle, indisciplinée et rebelle. Elle avait été ça et là, créant aléatoirement des merveilles ou des horreurs. Peut-être même n’était-ce pas encore cette forme d’énergie canalisée appelée maintenant magie. D’ailleurs à part elle et les éléments, il n’y avait pas grand chose sur le globe. Les Grands Arbres s’éveillaient à peine, les êtres Sylvestres étaient encore assoupis dans l’éther du néant et quelques créatures exceptionnellement dotées d’intelligence avaient manifestement déjà décidé de conserver leur solitude pour quelques prochains siècles. Toujours est-il que perdu loin au Nord dans les plaines froides situées derrière des plateaux forestiers à perte de vue, au sommet du pic le plus haut de l’épaisse chaîne de montagnes qui serait bien plus tard appelé Wal’kon - Kih’Fer, la Mâchoire Blanche, au milieu de fines effluves de neige, de brume et de vapeur d’eau s’évaporant furtivement au contact de pierres brûlantes, au centre d’une structure rocheuse circulaire, était tapi un lac.

 

Entouré de hautes falaises sur toute sa circonférence, ce petit lac d’une demi lieue de grossier diamètre était d’une étonnante douceur, car les eaux de fonte des neiges fuyant les cimes éternelles et qui l’alimentaient étaient réchauffées par une chambre magmatique proche car peu profonde, ce qui faisait de cet endroit un havre secret, bien dissimulé par un rempart de pierres acérées comme des griffes et haut d’une bonne centaine de mètres. Mais bien que paisible, situé si haut au-dessus de la plupart des nuages, le douillet bain n’était visité de personne et le resterait tant que le destin ne guiderait pas une créature quelconque sur d’incertains itinéraires montagneux ou dans l’énigmatique labyrinthe de galeries suffocantes de vapeurs de soufre traversant le complexe volcanique inaccessible. Le calme, l’immobilisme et le cycle journalier et répétitif des éléments constituaient le souffle de cet endroit, respirant lentement au gré des bourrasques glacées qui parvenaient parfois à effleurer la surface aqueuse, rafraîchissant provisoirement quelques gouttes avant de disparaître en un tourbillon. De légers clapotis se devinaient, à quelque coin isolé d’un pierrier, par lequel le lac débordait en une respectable cascade s’échappant vers l’extérieur de l’enceinte de pierre à la découverte du monde. Quelques poissons vivaient ça et là, obéissant à un vague instinct migratoire les menant chaque année à la mer du pôle Nord s’ils n’étaient pas happés par un aigle ou un ours suicidaire entreprenant de gravir les falaises incertaines du Kih’Fer. Quelques rares et robustes fleurs de montagne, arbustes, mousses et algues agrémentaient le décor de quelques touches colorées, nutritives et désespérément discrètes.

 

Était-ce un an ou une décennie, le temps s’écoulait en un ostinato tranquille et identique. Néanmoins, un matin d’hiver fut troublé par un événement, alors que la lumière solaire n'était pas encore parvenue à illuminer intégralement l’intérieur du magnifique cratère. Sur le versant Nord, la partie haute illuminée fondait doucement sur la partie basse encore endormie, rabattant tranquillement contre le lac le front de lumière. Dans un fracas immense, lorsque l’eau fut éclairée, un pan entier de la falaise s'effondra sur lui-même, se vautrant sur l’étendue d’eau. Pendant plusieurs semaines, une brume grise et opaque chargée de poussière occulta au ciel le petit lac. De puissants orages venus d’on-ne-sait quels nuages plus hauts que les autres éclatèrent et zébrèrent maintes fois le panorama de griffures électriques et bruyantes. Une pluie diluvienne puis une tempête de neige tentèrent plusieurs semaines durant de percer le nuage noir qui s’était installé au coeur du cratère, en vain. Cependant, le calme désertique finit inéluctablement par reprendre sa place, après avoir poliment laissé les flots retrouver leur platitude frémissante, quelques rochers décider de finalement s’immerger et la poussière se poser ça et là - tantôt ailleurs sur la falaise, sinon au fond du bassin après une pénible et lente décantation. Ainsi quelques mois suffirent pour que l’endroit retrouvât un rythme de vie, pour ainsi dire.

 

Mais plus rien ne fut vraiment comme avant. Les rives du bassin certes redessinées témoignaient de la violence passée de l’événement. Les falaises étaient maintenant béantes d’une profonde crevasse aux matériaux éparpillés dans le reste du lac et qui laissait entrevoir une mer de nuages alentours. La muraille rocheuse autour de la cuvette montagneuse était à présent déchirée, laissant le froid des éléments entamer une inexorable torture du petit oasis - et quelques rapaces aventureux explorer les lieux. Mais plus encore : posé sagement sur un grossier coussin de vase, à quelques coudées de la surface bleutée, tant ovale et lisse qu’ocre et parsemé de tâches brunes, au fond du lac, gisait désormais un oeuf.

 

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