
Blog d'un allergosképsophobe*
* un mec qui ne supporte plus les gens allergiques à la pensée.
Pensées publiques par Pull de Rhovyl
viii. La formation
Faute de bonne note, on croira que l'élève fainéant ne comprend pas.
Mais soyons réaliste, nous avons de la chance d’avoir croisé tous ces énergumènes au cours de notre visite en enfer. Quel heureux concours de circonstances qu’aucun n’ait été en congé, en repos, en maladie, ou encore en formation. Cette dernière possibilité, la formation professionnelle, est au service ce que la côte d’un peintre est à son talent : un indicateur souvent biaisé.
Les formations, tel un événement climatique imprévisible et d’augure généralement terne - les “oh, encore !” prononcés par le CdC faisant un prodigieux match nul avec les “ah, enfin !” à leur annonce (“il était temps mais ça me déçoit” étant plus commun dans le cas de Christelle) - ponctuent le train-train quotidien du Service à raison d’une à trois fois par an (trois fois étant souvent la conséquence de deux ans de retard pris sur des sessions préalablement avortées). Si elles sont l’occasion pour nos primates savants de se voir offrir une lueur de valeur ajoutée, une opportunité d’amélioration, elles sont bien davantage utiles à leur maintien sur le droit chemin ! La communication entre les différents bureaux nationaux ayant peu évolué depuis l’usage des pigeons voyageurs, l'unique demi-douzaine d’êtres dotés d’intelligence (sans doute d'occultes cadres supérieurs inconnus haut-placés dans le conseil d'administration) a décidé qu’il était décidément vain de croire encore à une possible adaptation continue des diverses entités réparties sur le territoire aux réformes pourtant nombreuses. C’est donc en prenant gentiment les subalternes des subalternes des subalternes par la main que ces mystérieux amiraux ont décidé de faire avancer artificiellement la situation ; de ce fait, mises à jours d’une charte graphique, actualisation des abréviations, modernisation des rôles, et même rappel des missions classiques d’un poste ou d’un autre : tout est sujet à nécessiter une formation.
Bien plus qu’apporter à des statistiques nationales inexistantes des données factices ou erronées permettant aux grands pontes de se rassurer, les formations sont en un sens le moteur auxiliaire du service à échelle nationale. Plus localement, l’impact d’une formation dépasse pourtant largement le simple cadre individuel des membres du Service. Dans le détail, en témoignera la proportion non-négligeable des discussions en salle café portant notamment sur l’annonce de l’événement (“oh Bernard, tu vas aller à une formation ?”), sur la période antérieure à l’événement (“c’est pas bientôt ta formation, Bernard ? Effectivement, Christelle !”), celle plus proche (“moi je prends la porte de droite du réfectoire, astuce de Christelle”), l’événement lui-même (“tiens, Bernard n’est pas là, qu’il disait Patrick ce matin, décidément celui-là !”), le retour de l’événement (“alors Bernard, ta formation ? J’arrive, Christelle”), la vie considérablement changée un mois après (“dernièrement, j’ai fait une formation”, dira Bernard) et enfin le retour à la normale (“oh tu sais, il y en a tellement !” dira-t-il enfin).
Malheureusement, la formation a ceci de triste qu’elle est également une excellente occasion de ne pas travailler pour la plupart des membres du service. D’une durée moyenne d’un jour et demi ou de deux et demi, généralement arrondie à deux ou trois jours, toute position qu’elle puisse occuper dans la semaine sera fatigante, reprochable et inadéquate avec l’emploi du temps déjà surchargé des animaux suscités, en particulier des membres de l’exécutif du CdC. Ceux-ci plus que les autres se feront violence d’arrêter net leurs tâches courantes trois jours avant le début et trois jours après la fin de la formation, sous réserve d’une anticipation de leur absence. Il faut leur reconnaître que la seule pause de vingt minutes accordée par le formateur (généralement allongée à quarante-cinq puisque les membres de différentes entités se connaissant, se regrouperont en clans improvisés pour échanger sur leurs inactivités respectives) n’est rien moins qu’un dangereux facteur de choc métabolique pour cause de surmenage pour ces pauvres et honnêtes travailleurs habitués à deux pauses d’une heure par demi-journée.
Enfin, survivant à cette dure épreuve, c’est avec philosophie que ces pitoyables individus rentreront de leur périple tous frais payés, et partageront autour d’un café les nouvelles de Paris (généralement). Tous se rassureront à posteriori sur leurs capacités en se convainquant qu’ils savaient et pratiquaient déjà ce dont la formation a été l’objet (preuve de son inutilité) et reviendront à leur rythme habituel sur un fuseau horaire différent. Et tous en iront de leur boutade sur les difficultés du voyage en n’égalant évidement pas le Jean-Jacques qui, fort de sa position de chef, profitera d’un moment subtilement choisi pour caser son traditionnel “alors maintenant, tu es en forme ?” dans un demi sourire.
***