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Blog d'un allergosképsophobe*
* un mec qui ne supporte plus les gens allergiques à la pensée.
Pensées publiques par Pull de Rhovyl
ix. La plénière
Avec ou sans évolution, rien n'empêche de faire le point.
A l’inverse de la formation qui, tel un événement de la vie courante - mariage, décès, naissance, anniversaire - assaisonne la routine des membres du Service de manière surtout individuelle, il est un autre élément qui dépasse de loin ce cadre solitaire ; aussi pauvre en contenu informationnel que les vœux télévisés du président, la réunion plénière en partage la date et le souci de la présentation et du détail, de même que le caractère pompeux - le tout dans un sentiment général d’accomplissement solennel.
La plénière partage avec la formation un nombre inquiétant de points communs, à ceci près qu’ils sont exacerbés à chaque début d’année. Le début d’année est, par culture locale au Service et dans la totalité des étages voisins, une période de réadaptation du rythme de vie, où chacun reprend lentement sa cadence de travail habituelle au travers du crible des pauses-café toutes les deux heures. Véritable journée de rencontre, elle est pourtant fatiguante dans le sens où par une succession de présentations, elle vient lourdement perturber la cadence de caféination des babouins. Aussi mettront-ils un point d’honneur à suivre une préparation physique d’une semaine précédent l’événement, en limitant strictement leurs heures de travail à un maximum de deux par jour.
Véritable moment festif, regroupant à lui seul près de soixante pourcent de la quantité de travail des membres du secrétariat (qui se feront un plaisir de s’affairer à aligner des tables dans la grande salle, les recouvrir de nappes, envoyer des mails de groupe, envoyer des rappels de groupe), la plénière est haute en couleurs, unique opportunité de l’année de sortir du placard du fond les panneaux, posters et autres drapeaux hissant haut des devises aguicheuses annonçant un avenir radieux. Parallèlement, c’est l’unique occasion de l’année pour nos amis primates de travailler leur anglais : ils réfléchiront toute la matinée aux mots “efficiency, aknowledgement, mutual listening” qu’une stagiaire moins bête que les autres aura choisi d’intégrer dans l'affiche d'il y a dix ans “parce que ça faisait chouette”.
Au déroulement hétérogène, la plénière verra se succéder tous les différents groupes venant présenter leur travail - la véritable difficulté étant d’en inventer les contours. Chacun y ira donc de sa fierté, son jargon, permettant ainsi de conserver la totale imperméabilité de savoir entre les services sur fond de brouhaha pimenté de sifflements de micro, rires gênés, éternuements et toussements inhérents à un retour de vacances. De huit heures et demi à neuf heures et quart, un buffet de bienvenue permettra à tous de se déconcentrer au maximum en prévision du reste de la journée. Jusqu’à neuf heures et quart, les discours des grands pontes régionaux passeront donc inaperçus jusqu’à ce que le chef local du bâtiment, seul capitaine reconnu, vienne se vanter de la réussite de ses subalternes (dont il n'a jamais douté) et les en féliciter. Derrière cette avalanche de vantardise infondée et fatigués de ces vingt minutes de concentration, un épais voile de somnolence s’abattra sur la centaine de personnes présentes, que seule une promesse de copieux repas de midi parviendra à ramener à la vie. Il est d’ailleurs habituel que les diverses intervenants de cette dure fin de matinée se disputent leur place dans l’ordre de passage, en sachant pertinemment que les dix dernières minutes avant de manger seront totalement inintelligibles au milieu des chuchotements croissants et de l’agitation, le tout grandissant dans l’assemblée comme dans une classe de CE2 dans le car avant d'arriver à Euro-Disney.
Le tant attendu buffet de début d’année sera ensuite le bas-lieu de dilapidation d’un budget colossal (au moins égal au pôle photocopie du bâtiment entier) en victuailles. En son sein, la cuiller du destin fera se rapprocher des membres de différents étages, découvrant par-ci, par-là qui travaille au-dessus, au-dessous, dans la pièce d’à-côté. Outre ces rencontres ou retrouvailles fortuites entre λ, les discussions porteront essentiellement sur la qualité des aliments, généralement pire que l’année précédente, en quantité insuffisante - il en restera, comme d’habitude, le tiers. Les plus malins se risqueront à maintenir une observation attentive du buffet, afin de toujours se diriger vers la denrée la plus disponible. Les plus mous se contenteront d’un banal “standing” devant leur apéritifs favoris, dans une émouvante reconstitution d’un rayon de la Fnac.
Le directeur local retournera à son bureau sur le coup des deux heures et quart, dans un souci d’exemple et de sérieux. D’aucuns (mais toujours le CdC) se croiront alors, même rassasiés, permis de prolonger cette jovialité jusqu’à seize heures ou la disparition totale des gâteaux. On y assistera notamment à la première cuite de Daniel, à une nausée de Christelle et à des rots bruyants de Bernard lorsque l’alcool aidant, le peu de monde restant dans la salle de réception aura dissipé sa timidité naturelle. Au retour, Jean-Jacques dans un demi sourire racontera qu’à cette journée, “on était pleins”.
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